Se mettre au diapason

L'orchestre: un microcosme de la société

 

Un orchestre. Juste avant sa prestation. Une audience déjà recueillie, dans l’atmosphère confinée de la salle sombre. L’intensité des projecteurs vient d’être abaissée et tous les regards fusent à présent sur ce parallépipède lumineux, la scène, où dans quelques secondes, tout va se jouer.

 

. La musique va se jouer, l’émotion va transpirer, la complicité des musiciens va transparaitre. De cet ensemble pourtant hétéroclite, entre vents, bois et cordes, va naitre une harmonie à travers laquelle on se laissera transporter, grâce à laquelle pour un instant, on lâchera prise sur le réel rugueux et par trop présent. De l’autre côté du rideau, une émotion déjà bien intense est palpable chez les musiciens : difficile de décrire cette inédite sensation que le plexus solaire nous insuffle là ; serait-ce une sorte d’excitation euphorique mêlée à un certain stress de la performance, sans compter le plaisir incommensurable de partager ce frisson unique et incommunicable avec les autres pupitres ? C’est donc à ce moment précis, sous la chaleur des spots incandescents, que nous accordons nos instruments, dans la conventionnelle cacophonie qui se doit de précéder l’arrivée solennelle du chef d’orchestre.  Tel un brouhaha de cour de récré avant la venue du maitre, il n’est pas dépourvu d’un charme certain. Rien qu’à son écoute, ce mélange désordonné de sonorités me procure toujours autant ce secret plaisir. La complicité du partage entre les artistes à présent destinés à vivre à l’unisson et au même rythme, la malicieuse préparation à vibrer en harmonie : en voilà sans doute les clés. 

Reste que pour que cette chimie fonctionne, pour que la sauce prenne, encore faut-il se mettre au diapason. Oui, mais lequel ? 

Les bonnes ondes

Eh oui, si chacun n’en faisait qu’à sa tête, le la des violons vibrerait à 415 Hertz pendant que les guitares gratteraient un la de 420 Hertz et les bassons souffleraient un la de 560 Hertz. Autant vous dire que vos pauvres oreilles s’en souviendraient et ne voudraient qu’une chose : prendre les jambes à leur cou ! Une infime dissonance qui fait toute la différence ! Le diable se cache résolument toujours dans les détails. 

C’est que, pour entrer en résonnance, pour faire corps, tout groupe devra se fixer des normes, des conventions ; sinon ça fera mal aux oreilles et la partie de plaisir virera au capharnaüm.

Gérer le pluralisme des diapasons

En orchestre, cette norme a évolué au fil du temps. Si aujourd’hui, tous les instrumentistes s’accordent en général sur le la3 à 440 Hertz (soit 440 vibrations par seconde), il n’en a pas toujours été ainsi. A l’époque Baroque, par exemple, alors que le concept de fréquence n’est pas encore découvert (il le sera au XVIIIe siècle), l’orchestre vibre au la de 392 à 415 Hertz. En fait, pendant longtemps, comme chacun jouait dans son coin avec sa gang habituelle, on n’a pas jugé nécessaire de fixer une note de référence : donc pas de diapason. Chacun arrivant avec son la, on s’adapte au contexte et on s’accorde simplement les uns par rapport aux autres au cas par cas. Ainsi entre le XVIe et XIXe siècle, un la peut varier entre 330 comme 560 Hertz. Tout va bien jusqu’au jour où … on se met en tête de vouloir voyager, échanger pour partager la musique toujours plus loin, toujours plus fort, avec plein d’autres gens d’ailleurs. Projet stimulant s’il en est, certes, mais alors arrive le dilemme fatal: Comment gérer le pluralisme des diapasons en usage ? 

Fixer une norme? Pourquoi donc?

Il va falloir se mettre d’accord. En France, une commission de physiciens et de musiciens, dont font partie Berlioz, Auber, Meyerbeer et Rossini, se réunit pendant un an, pour enfin statuer en 1858 que le la3 vibrera à hauteur de 435 Hz. C’était sans compter l’influence du jazz des Etats Unis qui fait monter le diapason à 440 Hertz en 1939 et c’est la norme internationale standard que l’on retiendra à partir de 1953.

Mais attention, une norme ne suffit pas, et ce n’est en aucun cas un prétexte pour se reposer sur ses lauriers. Pour maintenir la note juste entre des instruments si différents, rien n’est acquis. Cet équilibre magique nécessite une vigilance de tous les instants. Au fur et à mesure que les musiciens jouent, leurs instruments se désaccordent sous l’influence de la température, du taux d’humidité, de l’âge des cordes. Une inattention anodine et c’est tout l’accord de l’orchestre qui se déglingue.

Choisir sa fréquence

Alors maintenant, libre à vous de choisir votre diapason ! Et d’y rester vigilent !

L’énergie qui se dégage d’un orchestre bien accordé est la même que celle que nous pouvons produire dans la société. De même qu’un orchestre est constitué d’instruments de tessiture, de timbres et de couleurs sonores différentes, de même, nos sociétés actuelles sont plus que jamais hétéroclites : chaque communauté a une manière propre et unique de jouer sa partie et d’interpréter le monde. Et si, à la manière d’un ensemble symphonique, on décidait de surpasser ces divergences pour s’accorder sur un la commun ?

Libre à vous d’établir la norme la plus viable qui puisse faire vibrer vos sociétés plurielles dans une même harmonie.

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