Une philosophie du masque
Un carnaval, des carnavals : transgression de la norme jusque dans la grammaire*.
Quelques jours d’exception, quelques soirs de grands bals populaires où l’on s’encanaille sans peur du qu’en dira-t-on, bien dissimulés derrière son masque de papier.
En introduisant des chars chatoyants dans ces festivals colorés, hérités des Saturnales romains, la classe naissante des bourgeois auraient eu l’intention, dit-on, de parodier les pompeux cérémonials royaux, cortèges et parades des princes de la Renaissance, organisés pour les têtes couronnées lors de leur entrée dans les villes. Une manière de démontrer que même du haut de leur trône, les tout-puissants ne l’étaient pas tant que cela. « L’habit ne fait pas le moine », après tout.
- Et toi, si tu pouvais mettre les habits de ceux qui te commandent, en quoi te déguiserais-tu ?
Subversion ! Renversons les conventions, débridons-nous gaiement sans attendre les avals des monarques. Nul besoin de chorals ou de récitals pour se divertir.
Non, le peuple se suffit de peu : bouffons, bossus, et Arlequin font ripaille aux banquets, dévorent les emmentals et les cantals aussi goulûment que le feraient les chacals. Que les beignets, les bottereaux, les tourtisseaux deviennent pour notre plaisir gourmand des merveilles et des fantaisies : peu importe le nom que l’Académie leur donnera, pour nous ce sont toujours des régals.
Ce soir s’élèveront de forts mistrals ?! Qu’importe, pourvu qu’il y ait la danse, oui des danses débridées au point de ne plus sentir les cals de nos pieds qui ont trop foulé la terre de leur labeur quotidien. Que le temps soit encore longtemps suspendu. Et pourvu que les grands seigneurs ne débarquent pas de sitôt tel des roquals : on ne veut pas que la folie tourne court, on ne veut pas entendre mugir les finals endiablés des trompettes patronales.
Finalement, puissants, ne vous méprenez pas : c’est dans votre intérêt de désamorcer nos tensions pour éviter que n’éclate la grande révolution. Exutoire des passions, soupape de sécurité : un petit jour où tous les interdits deviennent réalité vaut mieux que de voir à jamais vos têtes au bout d’un pique valser.
Femmes, devenez hommes et hommes devenez femmes ; esclaves modernes et col bleus, prenez cravate et plastron. Changeons d’identité, ainsi les lois n’auront aucune prise sur nous ! Inversons les rôles derrière nos déguisements. Rassemblons-nous ! Démarquons-nous !
*tous les noms mentionnés ici en gras sont des exceptions à la règle grammaticale commune qui dicte que le pluriel des noms en -al est en -aux.
- Pourquoi le déguisement rend-elle la fête plus folle ?
Pour vivre heureux, vivons cachés, vivons déguisés ? - Mais au fait, est-ce qu’on se déguise pour se démarquer, être différent des autres ou pour être différent de soi-même ?
Est-ce qu’on se déguise pour être quelqu’un d’autre ou pour être vraiment soi-même ?
Derrière le masque: Quelqu'un?
Reprenant l’étymologie de « persona », Hobbes prétend dans le Léviathan que la représentation de soi qu’on propose à la lecture des autres à travers notre masque social correspond en tout point à notre personne même. En effet, per-sona n’est rien d’autre que le masque théâtral à travers lequel le son est amplifié. « Une personne est la même chose qu’un acteur » ! Le déguisement avons élaboré n’est autre que nous-même : « de celui qui joue le rôle d’un autre, on dit qu’il en assume la personnalité ».
Qui sommes-nous en société : Personne réelle ou personnage fictif ?
- Le masque nous révèle-t-il tel qu’on est vraiment ? Au contraire, est-il le fruit de l’adaptation contrainte aux conventions sociales? Bref, un masque, à quoi ça sert ? A « apparaître sous tel ou tel jour »; à « se cacher derrière »; à « se construire un visage et un comportement pour s’en faire un rempart » (Catégorisation reprise du Dialogue du moi et de l’inconscient, Carl Gustav Jung)
« Persona » latin, le masque social est celui de l’acteur qui endosse ainsi le caractère du personnage qu’il présente.
- Mais ne sommes-nous pas tous des acteurs dans cette grande scène qu’est le monde ? Ne nous cachons-nous pas tous derrière un masque social que nous avons construit, adapté tout au long de nos expériences de vie. Mais pourquoi avons-nous construit ce masque ? Pour nous adapter, faire notre place au soleil ?
- Si tout le monde porte un masque, est-il possible de vraiment se connaitre les uns les autres ? Peut-on entre apercevoir la vraie personne derrière d’éventuelles craquelures du masque ?
- Si on porte un masque, est-ce que ça fait de nous un hypocrite, est-ce qu’on se ment à soi-même ?
- Est-ce qu’on gâche ainsi notre potentiel créatif ?
Baisser le masque!
- Est-ce qu’on peut vivre sans masque ? Ne risque-t-on pas de se brûler si on est trop exposé ? Y-a-t-il des situations où tu ressens plus souvent le besoin de te dissimuler que d’autres? Pour quelles raisons ? Par tromperie, pour duper, par dignité, par respect, par pudeur, par peur, pour te protéger ?
- Et quand ce sont les autres qui refusent de te voir tel que tu es et te collent une étiquette, un masque, malgré toi, … et que tu te prêtes à ce jeu par complaisance ou par faiblesse en endossant le rôle qu’ils veulent te voir jouer derrière tel ou tel masque. Cela t’est-il arrivé ?
- Est-ce que l’artiste est justement celui-là même qui n’a pas cédé à la pression des conventions sociales et qui s’est assumé coûte que coûte ?
- Au fait, qu’est-ce que c’est, être soi-même ?
Apparence et réalité
Entre apparence extérieure et réalité intérieure, la mise en scène éclairante lève le voile sur le jeu qui se trame entre la personne et son double, le masque « persona ».
- Pour les deux adultes, l’apparence extérieure est-elle au reflet de la réalité intérieure ?
- Pour l’enfant, l’apparence et la réalité sont-elles dissociées ? Pour quelle(s) raison(s) ?
- Devrait-on réveiller notre enfant intérieur ?
- Est-il préférable ou pas d’exprimer ses émotions ?
Que préfères-tu?
Option1
Vivre dans une société policée où on ne montre pas ses émotions aux autres (négatives comme positives) et où tout se passe sans heurts, …mais aussi sans explosion de joie
Risque sous-jacent qui a émergé chez les Philonautes: par conformisme et pas accoutumance, ne plus exprimer ses propres émotions à soi-même, ne plus les accueillir et ne plus se reconnaitre. Devenir aseptisé, insensible, impersonnel, déshumanisé
« Nous sommes si accoutumés à nous déguiser aux autres qu’enfin nous nous déguisons à nous-mêmes » (La Rochefoucauld. Maxime 119).
Limites sous-jacentes mentionnées : Vivre dans une société policée, normée et codifiée, est-ce la garantie d’un état de paix et de stabilité ? N’a-t-on pas besoin de se dire les choses pour désamorcer les discordes? Cacher ses émotions négatives, n’est-ce pas accumuler de la tension telle une cocotte-minute qui explosera ou implosera un jour ou l’autre. N’est-ce pas repousser l’échéance de l’éclatement du conflit ? Une vie sans émotions partagées vaut-elle la peine d’être vécue ?
Option2
Vivre dans une société débridée, sans conventions, sans régulation sociale où on exprime tout ce qu’on ressent sans filtre, mais aussi par conséquent sans égard pour la sensibilité d’autrui. A bas les masques !
Risques sous-jacents qui ont émergés chez les Philonautes: ce modèle ressemblerait-il à une jungle ? Pourrait-on s’entendre et mener des projets communs à bien ? Comme on dit ce qu’on pense sans détour, on pourrait regretter et s’en vouloir par la suite, parce que les émotions peuvent s’atténuer après réflexion ; on peut les relativiser
Limite sous-jacente mentionnée : Etre cache et direct, est-ce avoir une relation plus authentique aux autres ?
Attention ! Prenez garde ! Entourloupe en vue!
Ne suis-je pas en train de vous piéger ?
Dans quel piège de la pensée aurais-je donc bien pu vous entrainer ? Mais ne dirait-on pas là un faux dilemme ?
Ne peut-on pas considérer une troisième voie qui concilierait authenticité personnelle et vie en société apaisée ?
> Activité inductrice pour une séance prochaine : Incursion en communication non-violente par le jeu de rôle des 3 figures qui reprend le triangle dramatique de Karpman (le Persécuteur, le Sauveur, la Victime) pour se mettre à la place émotionnelle de l’autre et amorcer une discussion sur l’empathie.